[INTERVIEW] Jonathan Sebbane : les enjeux de la logistique urbaine

  • Publication publiée :4 mai 2021
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Jonathan Sebbane

Le point de vue de l’expert

Interview de Jonathan Sebbane, Directeur général de SOGARIS

On n’a sans doute jamais autant parlé de logistique et de logistique urbaine qu’au cours de ces dernières années et de ces derniers mois. Dans une ville aussi dense que Paris, quels sont les grands enjeux de l’organisation logistique, notamment pour les commerces ? 

Jonathan Sebbane : Commencée il y a plus de dix ans, la révolution des pratiques de consommation en a entraîné une autre, à bas bruits mais tout aussi sensible aujourd’hui pour notre vie quotidienne : celle des modes de distribution, que caractérisent l’explosion des flux de marchandises et un impact environnemental considérable. Sans surprise, c’est le transport de colis qui représente aujourd’hui le moteur de cette dynamique – on estime à 200 000 le nombre de colis transportés chaque jour à Paris, et l’on peut penser que c’est un début quand New York en compte près d’un million. Face à cette situation qui évolue vite, l’enjeu est double : il s’agit à la fois de réduire drastiquement l’impact environnemental et les nuisances générés par les flux de marchandises, tout en accompagnant les besoins des professionnels vers de nouvelles pratiques de distribution et de mobilité, économiquement viables. 

Quels sont les moyens pour opérer une logistique urbaine adaptée aux besoins des commerces, aux défis environnementaux, aux attentes des consommateurs, etc. ? 

J. S. : La maîtrise d’une mobilité des biens décarbonée au service des villes et de leurs habitants est devenue un immense défi, auquel les grandes métropoles répondent à la fois par la réglementation et par l’accompagnement des professionnels. La réglementation, c’est ce que l’on observe en Europe avec la généralisation des Zones à Faibles Emissions (ZFE ou LEZ en anglais) à l’échelle des agglomérations et la piétonisation des centres-villes : en avril 2020, l’ADEME dénombrait ainsi près de 250 ZFE dans 13 pays européens et Londres entend élargir en octobre prochain le périmètre de sa Zone à Très Faibles Emissions (ULEZ). L’accompagnement, c’est à la fois le développement de chartes associant acteurs publics et privés, comme l’avait lancé la Ville en 2013 ou encore la Métropole du Grand Paris en 2018 ; mais c’est également la nécessité de déployer un réseau de sites immobiliers à l’échelle de l’agglomération, parfaitement localisés pour répondre tant aux besoins économiques des professionnels qu’à l’exigence écologique de réduction de l’empreinte carbone des flux. Cet immobilier doit être totalement adapté à son environnement et à ses contraintes : car il n’y a pas qu’une seule logistique urbaine, standardisée par l’arrivée de poids lourds et le départ de petits véhicules fussent-ils propres, mais une multiplicité de besoins qu’il convient d’adresser par des bâtiments et des espaces adaptés aux usages, faisant montre d’une insertion architecturale et urbaine de grande qualité. C’est sans doute la clef pour inscrire durablement la logistique urbaine comme une nouvelle fonction standard de la programmation urbaine. 

Faut-il repenser l’intermodalité ? Par exemple, peut-on imaginer que les différents temps de la ville permettent différents usages ? 

J. S. : La recherche d’alternatives efficaces et pérennes à la route est évidemment un enjeu essentiel de la logistique moderne. En un sens, le développement rapide du vélo et du vélo-cargo comme modes de transport du dernier-kilomètre est une forme d’intermodalité réussie, qui va modifier durablement les pratiques des professionnels et façonner les pratiques urbaines. En matière d’approvisionnement, on observe aujourd’hui de multiples initiatives et expérimentations pour passer par le fleuve – on pense ainsi à l’expérimentation de messagerie fluviale portée par Fludis ou à l’acheminement par barges depuis le Port de Bonneuil des marchandises d’un grand distributeur. Le fer reste encore en retrait de ce mouvement, du fait de la complexité d’organisation du mode ferroviaire et de la saturation du réseau ferré, notamment en Ile-de-France. Mais il convient de préserver l’avenir en continuant à développer des infrastructures qui pourront à moyen ou long terme se tourner vers une intermodalité efficace pour l’approvisionnement des villes. 

La crise sanitaire a, quant à elle, produit une explosion du commerce en ligne, renouvelant ainsi les modèles de livraison (mode doux). Quel peut être le rôle de la logistique pour accompagner ces évolutions ? Y a-t-il des évolutions logistiques qui se dessinent ou qui peuvent être anticipées ? 

J. S. : L’année 2020 marque sans aucune doute une accélération sans précédent dans la transformation déjà à l’œuvre des pratiques de consommation : explosion du commerce électronique bien entendu mais également valorisation de l’omnicanalité pour les grandes enseignes, généralisation de la livraison à domicile y compris pour le commerce de proximité et la restauration, etc. Le résultat, c’est à la fois un besoin accru d’une logistique urbaine maîtrisée pour répondre à l’augmentation des flux, à l’émergence de nouveaux acteurs – transporteurs, dark-storers par exemple – à la décarbonation et à la généralisation de pratiques vertueuses sur le plan environnemental et social ; mais c’est également une responsabilité accrue du consommateur, tant l’approvisionnement, la livraison et la dimension de proximité sont devenus des paramètres essentiels de l’acte d’achat. En somme, la logistique a fait son entrée dans notre quotidien tant nos choix individuels déterminent les pratiques de distribution. Avec le soutien de la Ville de Paris qui est son principal actionnaire, des départements des Hauts de Seine, de la Seine Saint-Denis et du Val de Marne, ainsi que celui de la Banque des Territoires, SOGARIS travaille ainsi à accélérer le développement de son réseau, tant par le développement de nouveaux espaces que par la transformation de bâtiments déjà existants vers une utilisation dédiée au dernier kilomètre et à la réduction de son empreinte carbone : création de 1 000 m2 mixant logistique urbaine et commerce à Porte de Pantin sous le boulevard périphérique, transformation d’une ancienne station-service à la Porte de Champerret, reconversion d’un ancien parking souterrain dans le 3ème arrondissement, etc. SOGARIS y dépasse son rôle de simple bailleur en adossant la location de ses espaces d’obligations environnementales et se positionne ainsi en investisseur engagé, en service de la ville et de ses habitants.