[Interview] Elisa Yavchitz : les enjeux de la mode éthique

  • Publication publiée :13 avril 2022
  • Post category:Actualités

Le point de vue de l’expert

Elisa Yavchitz – Directrice générale des CANAUX

Le secteur de la mode et du textile est un émetteur important de gaz à effets de serre (2% des émissions globales de GES), et qui d’après l’ADEME, pourrait devenir à l’horizon 2050 à l’origine de 26% des émissions globales de GES si les tendances de consommation se poursuivent.

Il est urgent de repenser le modèle de cette filière et de nombreuses marques ou commerces ont d’ores et déjà évolué vers une mode responsable. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la mode responsable ou éthique ?

L’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde après le pétrole. Elle est très gourmande en eau et émet chaque année plus d’1,2 milliards de tonnes de CO2. Avec 56 millions de tonnes de vêtements produits chaque année, il est effectivement urgent de repenser cette industrie et de s’engager vers un modèle plus vertueux.

Heureusement des acteurs, et notamment un bon nombre de créateurs s’engagent déjà pour redonner du sens à la mode afin qu’elle devienne plus écologique et socialement responsable. Par mode « éthique », mode « durable » ou encore mode « responsable », on entend une mode qui vise à prolonger la durée de vie d’un vêtement et à réduire son impact environnemental. A l’opposé de la fast fashion, cela se traduit par une démarche qui s’échelonne sur toute la chaîne de production et se traduit par le choix d’une matière première de qualité, de méthodes de fabrication, de production et de distribution saines. C’est aussi une mode qui rémunère correctement ceux qui produisent les vêtements, qui veille à ne pas faire travailler les enfants et à faire en sorte que les personnes qui fabriquent nos vêtements travaillent dans la dignité. Enfin, je dirais que c’est une mode qui incite à une consommation plus raisonnée et consciente du monde qui nous entoure.

La thématique de la mode éthique et circulaire est un axe développé par les Canaux. Quelle est votre approche ? Comment avez-vous appréhendé le travail à mener pour accompagner les commerces engagés dans cette démarche ?

Aux Canaux nous sommes investis depuis toujours sur les questions d’économie circulaire, de réemploi, quel que soit le secteur d’activité. Dans la mode, nous croyons beaucoup à l’upcycling. C’est pourquoi nous accompagnons de nombreux porteurs de projets dans leur démarche de création d’entreprise, de marque de mode. Nous soutenons et valorisons des créateurs. Je pense notamment à Sakina Msa ou Anaïs Dautais de la marque Les Récupérables que nous avons soutenu depuis le début et que nous avons contribué à faire connaître.

On organise toute l’année des ateliers gratuits pour les entrepreneurs, nous les mettons en relation avec d’autres acteurs, nous leur poussons même des marchés publics qui pourraient les intéresser.

Enfin on organise des grands temps forts pour le grand public toute l’année aux Canaux, comme le Festival de l’économie engagée qui permet de réfléchir à des solutions plus durables, notamment en matière de mode responsable, ou le marché de Noël qui permet à des commerçants engagés et des créateurs éthiques de vendre leurs produits.

Parmi les commerces de mode éthique implantés par le GIE Paris Commerces, on relève différentes approches : 1083 (production locale, tissu recyclés), Les récupérables (récupération de matières premières), Loom (tissus recyclés et production locale) etc. Très innovant, Possible France propose de la location de vêtements. L’approche peut-elle être globale ou nécessairement segmentée ?

L’approche peut être globale dans la mesure où beaucoup de métiers sont complémentaires. C’est aussi ça la force des acteurs de l’économie sociale et solidaire et l’économie circulaire : s’associer, créer des synergies ensemble, trouver des débouchés, sans être en concurrence entre eux. On peut prendre l’exemple de la relocalisation de la filière textile dans la Drôme, où de nombreux acteurs, créateurs, producteurs, dont 1083, se sont alliés pour proposer une mode locale et responsable.

Le marché de la seconde main s’est considérablement développé ces dernières années. Est-ce aussi une voie de la mode éthique ?

Bien sûr ! On voit d’ailleurs qu’il y a un vrai engouement pour la seconde main avec l’arrivée de nouvelles plateformes de revente en ligne comme Vinted ou le développement des ressourceries. Cela permet aux consommateurs d’acheter des produits parfois uniques, moins chers et d’offrir une seconde vie aux vêtements.

Beaucoup de choses ont évolué en 10 ans, et c’est aujourd’hui possible, pour toutes les bourses, d’acheter de la mode durable.

Quels conseils donneriez-vous aux porteurs de projets ou commerces de ce secteur désirant s’engager dans une démarche de production éthique ? Y a- t-il des étapes de la chaine de production à privilégier pour créer une mode durable ?

Partout on peut faire différemment. On peut se poser la question sur son rôle dans la société, de l’impact que l’on produit, comment émettre moins de gaz à effet de serre et s’inscrire à son niveau dans les grands enjeux qui nous font face.

Pour les porteurs de projets qui souhaitent s’engager dans une démarche de production éthique, je leur conseille d’identifier tous les stades du processus de production.

Tout d’abord, se demander quelle matière première utiliser. Il y a aujourd’hui beaucoup de tissus dormants qui n’attendent qu’à être utilisés. La France est aussi le premier pays producteur de lin et le troisième producteur de chanvre au monde. Ce sont des matières écologiques et de bonnes alternatives au coton très énergivore.

Se demander aussi avec quels fournisseurs je souhaite travailler, et dans quelles conditions ceux-ci font travailler leurs salariés. Combien de collections je souhaite faire par an, comment la/les distribuer avec du stock ou non… C’est toute la chaîne qu’il faut penser. Aux Canaux on aide justement les entrepreneurs engagés à trouver un modèle économique viable et avoir les mêmes outils que les autres pour trouver leur place sur le marché.

 Et aux consommateurs ?

Il faut savoir qu’en France en moyenne les gens utilisent 1/5eme des habits qu’ils ont dans leur placard.

Aux consommateurs je conseillerai donc tout d’abord de commencer à se poser des questions. D’où vient mon vêtement ? Qui l’a produit ? Dans quelles conditions ? Pour quel salaire ?

Ensuite, acheter plus responsable c’est aussi accepter parfois de payer plus cher un vêtement, produit en France ou en Europe, avec des tissus de meilleure qualité, que l’on le gardera plus longtemps.

Enfin, je leur conseillerai de se tourner vers des magasins de seconde main comme les friperies ou sur des sites de revente comme Vinted, Ebay ou Le bon coin, pour trouver des vêtements qui ont déjà été portés et à des prix raisonnables.

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